L’Imām al-Ḥusayn (as) est-il supérieur aux autres Imāms ?

Plan de l'article

Auteur : Markaz-e Pajuḥeshī-ye Ōlūm-e Islāmī-ye Nūr[1]

Introduction

L’amour et l’admiration que les musulmans éprouvent pour l’Imām al-Ḥusayn (as) dépassent largement le cadre de l’histoire. Son nom évoque le courage, la vérité, la justice et le sacrifice ultime à Karbalāʾ. Certains se demandent alors : cette place unique que tient l’Imām al-Ḥusayn (as) dans les cœurs des croyants signifie-t-elle qu’il est supérieur aux autres Imāms (as) ?

Cette question mérite une attention particulière, car elle touche à la fois à la théologie de l’imāmat, à la dimension spirituelle du deuil pour l’Imām al-Ḥusayn (as), et à la fonction de la mémoire religieuse dans le chiisme. L’article suivant propose une réflexion nuancée sur cette interrogation, en s’appuyant sur les enseignements transmis par les Imāms (as) eux-mêmes. Il montre que si tous les Imāms sont unis dans leur essence et leur statut spirituel, certains événements historiques – comme le soulèvement de Karbalāʾ – ont pu mettre en lumière des aspects particuliers de leur mission.

À travers cette étude, nous établirons pourquoi l’Imām al-Ḥusayn (as), sans être « supérieur » dans l’absolu, a reçu de Dieu certains privilèges uniques, et pourquoi son souvenir continue de jouer un rôle central dans la conscience religieuse des croyants.

1. Une unité essentielle entre les Imāms (as)

L’idée d’une unité lumineuse fondamentale (al-waḥda an-nūrāniyya) entre les quatorze Maʿṣūmīn (as) constitue un pilier doctrinal majeur dans les sources scripturaires du chiisme imamite.

Selon les enseignements des Imāms (as), tous les Infaillibles — du Prophète Muḥammad (saw) à l’Imām al-Mahdī (as) — sont issus d’une seule et même lumière (nūr wāḥid). Ils ne forment qu’une seule et même réalité spirituelle, et bien que leur apparition dans le monde physique prenne des formes distinctes, leur essence, leur esprit, leur mission et leur guidance sont fondamentalement unifiés.

Cette unité n’est pas une simple image symbolique, ni un lien moral ou généalogique : elle correspond à une réalité profonde, présente avant la création du monde, et qui se manifeste aussi bien dans leur rôle ici-bas que dans l’au-delà.

Les traditions suivantes — tirées de sources parmi les plus reconnues et rapportées par des narrateurs dignes de confiance — mettent en lumière l’unité spirituelle des Imāms (as), leur place centrale dans la création et leur élévation exceptionnelle auprès d’Allah (swt).

Note au lecteur

Certaines traditions mentionnées ci-après abordent des sujets profonds tels que les étapes de la création divine, les réalités des mondes invisibles, ou encore des aspects de l’eschatologie qui restent souvent peu étudiés dans les lectures traditionnelles. Elles font néanmoins appel à une vision spirituelle et métaphysique riche du de la tradition chiite imamite.

Afin de mieux les comprendre, un article complémentaire leur sera prochainement consacré, avec les éclairages nécessaires pour en saisir le sens dans le cadre doctrinal et référentiel approprié.

1.1. Première narration

Lors de la nuit de l’Isrāʾ[2], Allah (swt) déclara au Saint Prophète (saw) :

يَا مُحَمَّدُ اِعْلَمْ أَنِّي اِطَّلَعْتُ إِلَى أَهْلِ اَلْأَرْضِ فَاخْتَرْتُكَ وَ ثَانِيَةً فَاخْتَرْتُ عَلِيّاً فَخَلَقْتُكَ وَ خَلَقْتُهُ وَ فَاطِمَةَ وَ اَلْحَسَنَ وَ اَلْحُسَيْنَ وَ اَلْأَئِمَّةَ مِنْ وُلْدِهِ مِنْ نُورِي وَ عَرَضْتُ وَلاَيَتَكُمْ عَلَى أَهْلِ اَلسَّمَاوَاتِ وَ اَلْأَرْضِ فَمَنْ قَبِلَهَا كَانَ عِنْدِي مِنَ اَلْمُؤْمِنِينَ وَ مَنْ جَحَدَهَا كَانَ عِنْدِي مِنَ اَلْكَافِرِينَ وَ لَوْ أَنَّ عَبْداً عَبَدَنِي حَتَّى يَنْقَطِعَ وَ يَصِيرَ كَالشَّنِّ اَلْبَالِي ثُمَّ أَتَانِي جَاحِداً لِوَلاَيَتِكُمْ مَا غَفَرْتُ لَهُ حَتَّى يُقِرَّ بِوَلاَيَتِكُمْ

« Ô Muhammad (saw), sache que J’ai regardé les habitants de la terre et Je t’ai choisi [comme Messager], puis une seconde fois J’ai regardé et J’ai choisi ʿAlī (as) [comme Successeur]. En réalité, Je t’ai créé, ainsi que lui, Fāṭima (sa), al-Ḥasan (as), al-Ḥusayn (as) et les Imāms (as) issus de sa descendance, à partir de Ma lumière.
J’ai présenté votre autorité (wilāya) aux habitants des cieux et de la terre : quiconque l’a acceptée, Je l’ai compté parmi les croyants (muʾminīn), et quiconque l’a rejetée, Je l’ai considéré comme un mécréant (kāfir).
Même si un serviteur M’adorait jusqu’à l’épuisement, au point que son corps devienne semblable à une outre usée, puis venait à Moi en reniant votre wilāya, Je ne lui pardonnerais pas tant qu’il ne reconnaîtra pas votre wilāya. »
[3]

1.2. Deuxième narration

Jābir al-Anṣārī (ra) rapporte avoir entendu le Messager d’Allah (saw) dire :

إِنَّ اللَّهَ عَزَّ وَ جَلَّ خَلَقَنِی وَ خَلَقَ عَلِیّاً وَ فَاطِمَةَ وَ الْحَسَنَ وَ الْحُسَیْنَ مِنْ نُورٍ وَاحِدٍ

« En vérité, Allah (swt), m’a créé, ainsi que ʿAlī (as), Fāṭima (sa), al-Ḥasan (as) et al-Ḥusayn (as), à partir d’une seule et même lumière… »[4]

1.3. Troisième narration

Nous retrouvons également dans la Ziyāra al-Jāmiʿa al-Kabīra, enseignée par l’Imām al-Hādi (as) :

خلَقَکُمُ اللهُ اَنواراً فجَعلَکُمْ بعرشِهِ مُحدِقینَ حتَّی مَنَّ عَلَینا بِکُم، فَجَعَلَکُم فی بُیُوتٍ اَذِنَ اللهُ اَنْ تُرفَعَ ویُذکَرَ فیهَا اسْمُهُ

« …Allah (swt) vous a créés lumières (anwār), et Il vous a placés autour de Son Trône (ʿarsh), jusqu’à ce qu’Il nous gratifie de votre présence. Il vous a alors établis dans des demeures où Allah (swt) a permis qu’elles soient élevées et que Son Nom y soit mentionné[5]… »[6]

1.4. Quatrième narration

L’Imām al-Ṣādiq (as) enseigne également dans la Ziyārat al-Wārith :

اَشْهدُ اَنّکُمْ نُورَاً فِی الْاَصْلابِ الشَّامِخَه وَ الْاَرْحامِ المُطَهَّره

« Je témoigne que vous êtes une lumière (nūr) dans les reins élevés (aṣlāb shāmikha) et les matrices purifiées (arḥām muṭahhara). »[7]

1.5. Cinquième narration

Mufaḍḍal rapporte avoir demandé à l’Imām al-Ṣādiq (as) :

مَا کُنْتُمْ قَبْلَ اَنْ یَخْلُقَ اللَّهُ السَّمَاوَاتِ وَ الْاَرْضَ قَالَ کُنَّا اَنْوَاراً نُسَبِّحُ اللَّهَ تَعَالَی وَ نُقَدِّسُهُ حَتَّی خَلَقَ اللَّهُ الْمَلَائِکَةَ فَقَالَ لَهُمُ اللَّهُ عَزَّ وَ جَلَّ سَبِّحُوا فَقَالَتْ اَیْ رَبَّنَا لَا عِلْمَ لَنَا فَقَالَ لَنَا سَبِّحُوا فَسَبَّحْنَا فَسَبَّحَتِ الْمَلَائِکَةُ بِتَسْبِیحِنَا اَلَا اِنَّا خُلِقْنَا اَنْوَاراً وَ خُلِقَتْ شِیعَتُنَا مِنْ شُعَاعِ ذَلِکَ النُّورِ فَلِذَلِکَ سُمِّیَتْ شِیعَة

« Qu’étiez-vous avant que Dieu ne crée les cieux et la terre ? »
Il répondit :
« Nous étions des lumières (anwār), nous proclamions la gloire (tasbīḥ) et la sainteté (taqdīs) d’Allah (swt). Puis Allah créa les anges. Il leur dit : « Glorifiez ! »
Ils dirent : « Ô notre Seigneur, nous n’en avons pas la connaissance. »
Alors Il nous dit [afin que les anges apprennent] : « Glorifiez ! » — et nous glorifiâmes, et les anges glorifièrent selon notre tasbīḥ. Sache que nous avons été créés lumières (anwār), et que nos partisans ont été créés à partir des rayons (shuʿāʿ) de cette lumière. C’est pour cela qu’ils ont été appelés shīʿa. »
[8]

1.6. Sixième narration

Ibn Mahrawān interrogea ʿAbd Allāh b. ʿAbbās à propos de l’interprétation de la parole d’Allah (swt) :

وَ اِنَّا لَنَحْنُ الصَّافُّونَ وَ اِنَّا لَنَحْنُ الْمُسَبِّحُونَ

« Et en vérité, c’est Nous qui formons les rangs [en prière], et c’est Nous qui proclamons Sa gloire. »[9]

قَالَ کُنَّا عِنْدَ رَسُولِ اللَّهِ (صلی‌الله‌علیه‌و‌آله‌وسلّم) فَاَقْبَلَ اَمِیرُ الْمُؤْمِنِینَ عَلِیُّ بْنُ ابی‌طَالِبٍ (علیه‌السّلام) فَلَمَّا رَآهُ النَّبِیُّ الْمُکَرَّمُ تَبَسَّمَ فِی وَجْهِهِ وَ قَالَ مَرْحَباً بِمَنْ خَلَقَهُ اللَّهُ تَبَارَکَ وَ تَعَالَی قَبْلَ کُلِّ شَیْ ءٍ خَلَقَنِی اللَّهُ وَ عَلِیّاً قَبْلَ اَنْ یَخْلُقَ آدَمَ… ثُمَّ خَلَقَ الْمَلَائِکَةَ فَسَبَّحْنَا وَ سَبَّحَتِ الْمَلَائِکَةُ وَ هَلَّلْنَا وَ هَلَّلَتِ الْمَلَائِکَةُ وَ کَبَّرْنَا وَ کَبَّرَتِ الْمَلَائِکَةُ وَ کَانَ ذَلِکَ مِنْ تَعْلِیمِی وَ تَعْلِیمِ عَلِیٍّ (علیه‌السّلام)

Il répondit :
« Nous étions auprès du Messager d’Allah (saw), quand arriva l’Amīr al-Muʾminīn, ʿAlī b. Abī Ṭālib (as). Lorsque le Prophète (saw) le vit, il sourit en sa direction et dit : « Bienvenue à celui qu’Allah (swt) a créé avant toute chose. Allah (swt) m’a créé, moi et ʿAlī, avant qu’Ādam (as) ne soit créé […] Puis Il créa les anges. Nous avons proclamé la gloire d’Allah (swt) (tasbīḥ), et les anges nous imitèrent dans cette glorification. Nous avons proclamé Son unicité (tahlīl), et les anges firent de même. Nous avons proclamé Sa grandeur (takbīr), et les anges en firent autant. Tout cela se fit par Mon enseignement et celui de ʿAlī (as). » »
[10]

1.7. Septième narration

Il est également rapporté de l’Imām al-Ṣādiq (as) :

إِنَّ مُحَمَّدًا وَعَلِيًّا كَانَا نُورًا بَيْنَ يَدَيِ اللَّهِ جَلَّ جَلَالُهُ قَبْلَ خَلْقِ الْخَلْقِ بِأَلْفَيْ عَامٍ، وَإِنَّ الْمَلَائِكَةَ لَمَّا رَأَتْ ذَلِكَ النُّورَ، رَأَتْ لَهُ أَصْلًا، وَقَدِ انْشَعَبَ مِنْهُ شُعَاعٌ لَامِعٌ، فَقَالَتْ: إِلَهَنَا وَسَيِّدَنَا، مَا هَذَا النُّورُ؟ فَأَوْحَى اللَّهُ عَزَّ وَجَلَّ إِلَيْهِمْ: هَذَا نُورٌ مِنْ نُورِي، أَصْلُهُ نُبُوَّةٌ، وَفَرْعُهُ إِمَامَةٌ، فَأَمَّا النُّبُوَّةُ فَلِمُحَمَّدٍ عَبْدِي وَرَسُولِي؛ وَأَمَّا الْإِمَامَةُ فَلِعَلِيٍّ حُجَّتِي وَوَلِيِّي، وَلَوْلَاهُمَا مَا خَلَقْتُ خَلْقِي.

« En vérité, Muḥammad (saw) et ʿAlī (as) étaient une lumière (nūr) devant Allah (swt), exalté soit Son nom, deux mille ans avant la création des créatures.
Lorsque les anges virent cette lumière, ils remarquèrent qu’elle avait une origine, et qu’un rayon lumineux en émanait. Ils dirent alors :
« Ô notre Dieu et notre Maître, quelle est cette lumière ? »
Allah (swt) leur révéla :
 » C’est une lumière émanant de Ma propre lumière. Son origine est la prophétie (nubūwwa), et sa ramification est l’imamat (imāma).
La prophétie revient à Muḥammad (saw), Mon serviteur et Mon Messager, et l’imamat à ʿAlī (as), Ma preuve (ḥujja) et Mon légataire (walī).
Et sans eux deux, Je n’aurais pas créé Ma création. » »
[11]

1.8. Huitième narration

L’Imām al-Ṣādiq (as) dit encore :

قَالَ اللَّهُ تَبَارَكَ وَتَعَالَى:
يَا مُحَمَّدُ، إِنِّي خَلَقْتُكَ وَعَلِيًّا نُورًا، يَعْنِي رُوحًا بِلا بَدَنٍ، قَبْلَ أَنْ أَخْلُقَ سَمَاوَاتِي وَأَرْضِي وَعَرْشِي وَبَحْرِي، فَلَمْ تَزَلْ تُهَلِّلُنِي وَتُمَجِّدُنِي. ثُمَّ جَمَعْتُ رُوحَيْكُمَا، فَجَعَلْتُهُمَا وَاحِدَةً، فَكَانَتْ تُسَبِّحُنِي وَتُقَدِّسُنِي وَتُهَلِّلُنِي. ثُمَّ قَسَمْتُهَا اثْنَتَيْنِ، وَقَسَمْتُ الِاثْنَتَيْنِ اثْنَتَيْنِ، فَصَارَتْ أَرْبَعَةً: مُحَمَّدٌ وَاحِدٌ، وَعَلِيٌّ وَاحِدٌ، وَالْحَسَنُ وَالْحُسَيْنُ اثْنَانِ، ثُمَّ خَلَقَ اللَّهُ فَاطِمَةَ…

Allah (swt) a déclaré :
« Ô Muḥammad (saw), Je t’ai créé, toi et ʿAlī (as), sous forme de lumière, c’est-à-dire un esprit sans corps, avant la création de Mes cieux, de Ma terre, de Mon Trône et de Mon Océan.
Vous ne cessiez alors de proclamer Mon unicité et de Me glorifier. Puis J’ai uni vos deux esprits en un seul, qui Me glorifiait, Me sanctifiait et Me proclamait unique.
Ensuite, Je l’ai divisé en deux, puis chacun des deux en deux autres, ce qui donna quatre :
Muḥammad (saw) en est un, ʿAlī (as) en est un, et al-Ḥasan (as) et al-Ḥusayn (as) sont les deux autres.
Puis Allah (swt) créa Fāṭima (sa) à partir de cette même lumière..
[12]

1.9. Neuvième narration

Abū Dharr (ra) rapporte avoir entendu le Messager d’Allah (saw) dire :

خُلِقْتُ أَنَا وَ عَلِيُّ بْنُ أَبِي طَالِبٍ مِنْ نُورٍ وَاحِدٍ نُسَبِّحُ اَللَّهَ يَمْنَةَ اَلْعَرْشِ قَبْلَ أَنْ يُخْلَقَ آدَمُ بِأَلْفَيْ عَامٍ فَلَمَّا أَنْ خَلَقَ اَللَّهُ آدَمَ جَعَلَ ذَلِكَ اَلنُّورَ فِي صُلْبِهِ وَ لَقَدْ سَكَنَ اَلْجَنَّةَ وَ نَحْنُ فِي صُلْبِهِ وَ لَقَدْ هَمَّ بِالْخَطِيئَةِ وَ نَحْنُ فِي صُلْبِهِ وَ لَقَدْ رَكِبَ نُوحٌ فِي اَلسَّفِينَةِ وَ نَحْنُ فِي صُلْبِهِ وَ لَقَدْ قُذِفَ إِبْرَاهِيمُ فِي اَلنَّارِ وَ نَحْنُ فِي صُلْبِهِ فَلَمْ يَزَلْ يَنْقُلُنَا اَللَّهُ عَزَّ وَ جَلَّ مِنْ أَصْلاَبٍ طَاهِرَةٍ إِلَى أَرْحَامٍ طَاهِرَةٍ حَتَّى اِنْتَهَى بِنَا إِلَى عَبْدِ اَلْمُطَّلِبِ فَقَسَمَنَا بِنِصْفَيْنِ فَجَعَلَنِي فِي صُلْبِ عَبْدِ اَللَّهِ وَ جَعَلَ عَلِيّاً فِي صُلْبِ أَبِي طَالِبٍ

« Alī ibn Abī Ṭālib (as) et moi avons été créés à partir d’une seule et même lumière.
Nous glorifiions Allah à la droite de Son Trône, deux mille ans avant qu’Adam (as) ne soit créé.
Et lorsque Allah (swt) créa Adam (as), Il plaça cette lumière dans ses reins. Il a séjourné au Paradis tandis que nous étions en lui […]
Nūḥ (as) monta dans l’arche, et nous étions en lui […] Ibrāhīm (as) fut jeté dans le feu et nous étions encore en lui […] ne cessa de nous faire passer de reins purs en matrices pures,
jusqu’à ce qu’Il nous fasse parvenir à ʿAbd al-Muṭṭalib. Il nous divisa alors en deux parts :
Il me plaça dans les reins de ʿAbd Allāh, et ʿAlī dans ceux d’Abū Ṭālib. »
[13]

A noter que Sibṭ Ibn al-Jawzī, l’un des savants sunnites, affirme explicitement que le ḥadīth de « la lumière », est mentionné dans l’ouvrage Faḍāʾil al-ṣaḥāba d’Aḥmad b. Ḥanbal. Il le cite lui-même depuis ce même ouvrage :

قَالَ أَحْمَدُ فِي الْفَضَائِلِ: حَدَّثَنَا عَبْدُ الرَّزَّاقِ، عَنْ مَعْمَرٍ، عَنِ الزُّهْرِيِّ، عَنْ خَالِدِ بْنِ مَعْدَانَ، عَنْ زَاذَانَ، عَنْ سَلْمَانَ، قَالَ: قَالَ رَسُولُ اللَّهِ:
كُنْتُ أَنَا وَعَلِيُّ بْنُ أَبِي طَالِبٍ نُورًا بَيْنَ يَدَيِ اللَّهِ تَعَالَى، قَبْلَ أَنْ يَخْلُقَ آدَمَ بِأَرْبَعَةِ آلَافِ عَامٍ، فَلَمَّا خَلَقَ آدَمَ قَسَمَ ذَلِكَ النُّورَ جُزْأَيْنِ: فَجُزْءٌ أَنَا، وَجُزْءٌ عَلِيٌّ.

وَفِي رِوَايَةٍ: خُلِقْتُ أَنَا وَعَلِيٌّ مِنْ نُورٍ وَاحِدٍ

Aḥmad dit dans al-Faḍāʾil : ʿAbd al-Razzāq nous rapporta de Maʿmar, de al-Zuhrī, de Khālid b. Maʿdān, de Zādhān, de Salmān, qui dit : Le Messager d’Allah (saw) a dit :
« ʿAlī b. Abī Ṭālib (as) et moi étions une lumière devant Allah (swt), […] bien avant la création d’Ādam. Quand Allah (swt) créa Ādam (as), Il divisa cette lumière en deux parts : une part pour moi, et une part pour ʿAlī. »


Et dans une autre tradition : « ʿAlī et moi avons été créés d’une seule et même lumière. »[14]

Cependant, les ennemis de l’Émir des croyants, dans le but d’effacer ses mérites, ont supprimé ce ḥadīth de l’ouvrage d’Aḥmad b. Ḥanbal. Ainsi, cette narration ne se trouve plus aujourd’hui dans les versions disponibles de ce livre.[15] Alors que la chaîne de transmission de cette narration était complète et fiable, composée uniquement de transmetteurs dignes de confiance (thiqāt), ce qui permettait explicitement d’établir l’authenticité de cette narration dans les sources sunnites :

أَخْبَرَنَا بِهِ [كِتَابُ الْفَضَائِل] أَبُو مُحَمَّدٍ عَبْدُ الْعَزِيزِ بْنُ مَحْمُودٍ الْبَزَّارُ [ابْنُ الْأَخْضَرِ]، قَالَ: أَخْبَرَنَا أَبُو الْفَضْلِ مُحَمَّدُ بْنُ نَاصِرٍ السَّلَامِيُّ، أَخْبَرَنَا أَبُو الْحُسَيْنِ الْمُبَارَكُ بْنُ عَبْدِ الْجَبَّارِ الصَّيْرَفِيُّ [ابْنُ الطَّيُّورِيِّ]، أَخْبَرَنَا أَبُو طَاهِرٍ مُحَمَّدُ بْنُ عَلِيٍّ بْنِ مُحَمَّدِ بْنِ يُوسُفَ [ابْنُ الْعَلَّافِ]، أَخْبَرَنَا أَبُو بَكْرٍ أَحْمَدُ بْنُ جَعْفَرِ بْنِ حَمْدَانَ الْقَطِيعِيُّ، حَدَّثَنَا عَبْدُ اللَّهِ بْنُ أَحْمَدَ، حَدَّثَنِي أَبِي.

« Cette narration nous a été transmise à travers [le Kitāb al-Faḍāʾil] par Abū Muḥammad ʿAbd al-ʿAzīz b. Maḥmūd al-Bazzār [Ibn al-Akhdar], qui a rapporté d’Abū al-Faḍl Muḥammad b. Nāṣir al-Salāmī, qui a rapporté d’Abū al-Ḥusayn al-Mubārak b. ʿAbd al-Jabbār al-Ṣayrafī [Ibn al-Ṭayyūrī], qui a rapporté d’Abū Ṭāhir Muḥammad b. ʿAlī b. Muḥammad b. Yūsuf [Ibn al-ʿAllāf], qui a rapporté d’Abū Bakr Aḥmad b. Jaʿfar b. Ḥamdān al-Qaṭīʿī, qui a rapporté de ʿAbd Allāh b. Aḥmad, qui dit : « Mon père m’a rapporté. »[16]

1.10. Dixième narration

Jābir b. ʿAbd Allāh al-Anṣārī (ra) rapporte avoir interroger le Messager d’Allah (saw) au sujet de la naissance de ʿAlī b. Abī Ṭālib (as). Le Saint Prophète (saw) lui répondit :

إِنَّ اللَّهَ تَعَالَى خَلَقَهُ نُوراً مِنْ نُورِی وَ خَلَقَنِی نُوراً مِنْ نُورِهِ وَ كِلَانَا مِنْ نُورٍ وَاحِدٍ وَ خَلَقَنَا مِنْ قَبْلِ أَنْ یَخْلُقَ سَمَاءً مَبْنِیَّةً وَ أَرْضاً مَدْحِیَّة

« En vérité, Allah (swt), l’a créé à partir d’une lumière issue de ma lumière, et Il m’a créé à partir d’une lumière issue de Sa lumière, et [par conséquent] nous sommes tous deux [ʿAlī (as) et moi] d’une unique lumière. Et Il nous a créés avant de créer un ciel bâti et une terre étendue… »[17]

1.11. Onzième narration

Abū Khālid al-Kābulī (ra) rapporte avoir interrogé Abū Jaʿfar, l’Imām Muḥammad al-Bāqir (as), au sujet de la parole d’Allah (swt) :

فَآمِنُوا بِاللَّهِ وَ رَسُولِهِ وَ النُّورِ الَّذِی اَنْزَلْنا

« Croyez donc en Allah, en Son Messager et à la lumière que Nous avons fait descendre. »[18]

فَقَالَ یَا اَبَا خَالِدٍ النُّورُ وَ اللَّهِ الْاَئِمَّةُ (علیه‌السّلام) یَا اَبَا خَالِدٍ لَنُورُ الْاِمَامِ فِی قُلُوبِ الْمُؤْمِنِینَ اَنْوَرُ مِنَ الشَّمْسِ الْمُضِیئَةِ بِالنَّهَارِ وَ هُمُ الَّذِینَ یُنَوِّرُونَ قُلُوبَ الْمُؤْمِنِینَ وَ یَحْجُبُ اللَّهُ نُورَهُمْ عَمَّنْ یَشَاءُ فَتُظْلَمُ قُلُوبُهُمْ وَ یَغْشَاهُمْ بِهَا

L’Imam (as) répondit :
« Ô Abū Khālid, par Allah, la lumière (nūr) désigne les Imāms (as). Ô Abū Khālid, la lumière de l’Imām dans les cœurs des croyants (muʾminīn) est plus lumineuse que le soleil éclatant en plein jour. Ce sont eux qui illuminent les cœurs des croyants. Et Allah (swt) voile leur lumière à qui Il veut, et les cœurs de ces gens deviennent obscurs, couverts de ténèbres par ce voile. »
[19]

1.12. Douzième narration

Muḥammad b. al-Fuḍayl rapporte avoir interroger Abū l-Ḥasan, l’Imām al-Kāẓim (as) au sujet de la parole d’Allah (swt) :

یُرِیدُونَ لِیُطْفِؤُا نُورَ اللَّهِ بِاَفْواهِهِمْ

« Ils veulent éteindre la lumière d’Allah (swt) par leurs bouches. »[20]

قَالَ یُرِیدُونَ لِیُطْفِئُوا وَلَایَةَ اَمِیرِ الْمُؤْمِنِینَ (علیه‌السّلام) بِاَفْوَاهِهِمْ

Il répondit : « Ils veulent éteindre la wilāya de l’Émir des croyants (as) par leurs bouches. »

Je l’interrogeai alors à propos de Sa Parole :

 وَ اللَّهُ مُتِمُّ نُورِهِ

« Et Allah parachèvera Sa lumière… »[21]

قَالَ یَقُولُ وَ اللَّهُ مُتِمُّ الْاِمَامَةِ وَ الْاِمَامَةُ هِیَ النُّورُ وَ ذَلِکَ قَوْلُهُ عَزَّ وَ جَلَّ فَآمِنُوا بِاللَّهِ وَ رَسُولِهِ وَ النُّورِ الَّذِی اَنْزَلْنا قَالَ النُّورُ هُوَ الْاِمَامُ

Il répondit : « Cela signifie : Allah (swt) parachèvera l’imāmat. Certes l’imāmat est la lumière (nūr).

C’est ce que signifie également Sa parole :
« Croyez donc en Allah (swt), en Son Messager et à la lumière que Nous avons fait descendre. »
[22] La lumière (nūr), c’est l’Imām. »[23]

1.13. Treizième narration

Ṣāliḥ b. Sahl al-Hamdānī rapporte qu’Abū ʿAbd Allāh (as) a dit, à propos de la parole d’Allah (swt) :

اللَّهُ نُورُ السَّماواتِ وَ الْاَرْضِ مَثَلُ نُورِهِ کَمِشْکاةٍ

« Allah est la lumière des cieux et de la terre. La parabole de Sa lumière est celle d’une niche… »[24]

Il dit : « Fāṭima (sa) est la niche (mishkāt), al-Ḥasan (as) est la lampe (miṣbāḥ), et al-Ḥusayn (as) est le verre (zujāja) dans lequel est la lampe. Fāṭima (sa) est une étoile brillante (kawkab durrīyy) parmi les femmes de ce bas-monde. […] « Lumière sur lumière » signifie un Imām issu d’elle, après un autre Imām… »[25]

1.14. Synthèse

Ce ne sont là que quelques exemples parmi de nombreuses traditions qui exposent de manière explicite le concept de l’unicité lumineuse (al-nūr al-wāḥid) des quatorze Maʿṣūmīn (ahs).

Dans l’ensemble de ces textes, se dégage une vérité constante : bien que les Imāms (as) soient apparus à des époques différentes, sous des formes corporelles multiples et dans des contextes historiques variés, leur origine spirituelle, leur mission divine et leur lien avec la lumière d’Allah (swt) sont uniques et unifiés.

La création de l’univers, la guidance de l’humanité, la lumière de la foi dans les cœurs, et même la structure cosmique du monde invisible, dépendent de cette lumière unique qui prend forme dans la prophétie de Muḥammad (saw) et l’imāmat des Ahl al-Bayt (as).

Ainsi, qu’une tradition mentionne explicitement la lumière de Muḥammad (saw), de ʿAlī (as), ou de Fāṭima (sa), ou encore qu’elle désigne l’un des Imāms (as), il ne faut pas comprendre cela comme une forme d’exclusivité ou de hiérarchie entre eux, mais bien comme l’évocation d’une réalité unique se manifestant à travers diverses formes — toutes issues d’une seule lumière. Ce principe fondamental rend caduque toute tentative de séparer ou d’opposer leurs rangs dans la création, la mission ou la valeur.

1.15. Accueillir les récits avec humilité et discernement

Si de tels récits suscitent étonnement ou questionnement, ou s’ils semblent relever de l’exagération (ghulūw, excès dans l’exaltation), il est essentiel de rappeler que ce sujet ne peut être traité de manière exhaustive dans le cadre de cet exposé introductif.

Les hadiths que nous avons cités visent d’abord à montrer que cette réalité spirituelle — la lumière unique des Imāms (as) — est solidement établie dans nos sources, et qu’elle a été rapportée par de nombreux narrateurs dignes de confiance.

Ainsi, lorsque nous avons la certitude que ces propos proviennent d’un Imām infaillible (as), il convient de ne pas les mesurer uniquement à l’aune de nos connaissances limitées ou de notre compréhension immédiate. Cependant, cette précaution ne signifie pas qu’il faille renoncer à réfléchir, à interroger ou à chercher à mieux saisir ces enseignements.

Bien au contraire, la connaissance des Ahl al-Bayt (as) suppose un effort constant d’étude et de discernement, ainsi qu’une vision globale et progressive de leurs paroles — que nous proposerons au fur et à mesure du développement de nos articles.

En réalité, le Saint Coran lui-même évoque des figures telles que les Compagnons de la Caverne (aṣḥāb al-kahf) et ar-Raqīm, dont la position spirituelle est pourtant bien inférieure à celle des Ahl al-Bayt (as), et recommande aux croyants de ne pas s’étonner des récits les concernant ni de les rejeter au motif qu’ils dépassent l’entendement :

أَمْ حَسِبْتَ أَنَّ أَصْحَابَ الْكَهْفِ وَالرَّقِيمِ كَانُوا مِنْ آيَاتِنَا عَجَبًا

« Penses-tu que les Compagnons de la Caverne et ar-Raqīm aient constitué une chose extraordinaire parmi Nos signes ? »[26]

De même, plusieurs traditions mettent en garde contre le rejet précipité de ce que l’on ne comprend pas immédiatement :

Mufaḍḍal rapporte de l’Imām al-Ṣādiq (as) :

مَا جَاءَکُمْ مِنَّا مِمَّا یَجُوزُ اَنْ یَکُونَ فِی الْمَخْلُوقِینَ وَ لَمْ تَعْلَمُوهُ وَ لَمْ تَفْهَمُوهُ فَلَا تَجْحَدُوهُ وَ رُدُّوهُ اِلَیْنَا

« Ce qui vous parvient de notre part, parmi ce qui peut concerner les créatures, et que vous ne comprenez pas ou dont vous n’avez pas connaissance, ne le rejetez pas.
Renvoyez plutôt [son interprétation] à nous… »[27]

L’Imām Abū Jaʿfar al-Bāqir (as) rapporte également du Messager d’Allah (saw) :

اِنَّ حَدِیثَ آلِ مُحَمَّدٍ صَعْبٌ مُسْتَصْعَبٌ لَا یُؤْمِنُ بِهِ اِلَّا مَلَکٌ مُقَرَّبٌ اَوْ نَبِیٌّ مُرْسَلٌ اَوْ عَبْدٌ امْتَحَنَ اللَّهُ قَلْبَهُ لِلْاِیمَانِ فَمَا وَرَدَ عَلَیْکُمْ مِنْ حَدِیثِ آلِ مُحَمَّدٍ صَلَوَاتُ اللَّهِ عَلَیْهِمْ فَلَانَتْ لَهُ قُلُوبُکُمْ وَ عَرَفْتُمُوهُ فَاقْبَلُوهُ وَ مَا اشْمَاَزَّتْ قُلُوبُکُمْ وَ اَنْکَرْتُمُوهُ فَرُدُّوهُ اِلَی اللَّهِ وَ اِلَی الرَّسُولِ وَ اِلَی الْعَالِمِ مِنْ آلِ مُحَمَّدٍ (علیه‌السّلام) وَ اِنَّمَا الْهَالِکُ اَنْ یُحَدَّثَ بِشَیْ ءٍ مِنْهُ لَا یَحْتَمِلُهُ فَیَقُولَ وَ اللَّهِ مَا کَانَ هَذَا شَیْئاً وَ الْاِنْکَارُ هُوَ الْکُفْر

« En vérité, les hadiths des Āl Muḥammad (as) sont [parfois] profonds et difficiles à ccomprendre. Nul n’y croit véritablement si ce n’est un ange rapproché, ou un prophète envoyé, ou un serviteur dont Allah (swt) a éprouvé le cœur par la foi. Ainsi, tout ḥadīth des Āl Muḥammad (as) qui vous parvient, et que vos cœurs accueillent avec douceur et que vous reconnaissez, alors acceptez-le. Mais ce qui heurte vos cœurs et que vous ne comprenez pas, renvoyez-le à Allah (swt), à Son Messager (saw), et au savant parmi les Āl Muḥammad (as). En vérité, est en perdition celui à qui l’on rapporte un ḥadīth nous concernant, et qu’incapable de le supporter, ce dernier dit : « Par Allah, ceci n’est rien [d’autre qu’un mensonge] ! » Et ce rejet, c’est cela la mécréance (kufr). »[28]

Ces enseignements n’invitent pas à une suspension de la raison, mais à reconnaître avec humilité qu’il existe des dimensions spirituelles qui dépassent parfois notre perception immédiate.

C’est pourquoi, pour l’heure, nous avons souhaité rassembler et partager ces nombreuses narrations afin de montrer que ce principe est attesté dans les sources. L’approfondissement de ce thème — ses implications théologiques, ses degrés d’authenticité, sa conciliation avec la raison — fera l’objet d’études détaillées ultérieurement.

En attendant, la prudence, l’ouverture d’esprit et la confiance dans la guidance des Imāms (ahs) demeurent des attitudes essentielles. Avoir une vision globale de leurs enseignements — que nous développerons progressivement à travers nos publications — est indispensable pour comprendre pleinement ces concepts.

2. Les spécificités contextuelles et historiques de chaque Imāms

Après avoir établi dans la première partie que les quatorze Maʿṣūmīn (as) forment une réalité unique, il est nécessaire, dans un second temps, d’aborder un autre aspect complémentaire et non contradictoire de leur mission : leur diversité apparente dans l’histoire.

En effet, si leur essence spirituelle est identique, les conditions de vie qui leur furent assignées, ainsi que les contextes politiques, sociaux et religieux dans lesquels chacun des Imāms (as) a exercé sa fonction, étaient profondément distincts.

Cette diversité a pu donner lieu, dans certains cas, à des manifestations particulières de leur rôle, à des prises de position spécifiques, ou même à des traits de caractère et de stratégie distincts. Cela peut parfois créer, dans l’esprit de certains, une impression de hiérarchie ou de supériorité d’un Imām par rapport à un autre. Mais il faut ici distinguer l’essence de lumière (ḥaqīqa nūriyya) de chaque Imām — commune à tous — de la spécificité fonctionnelle et contextuelle qui relève de la sagesse divine dans la répartition des rôles.

Autrement dit : ils partagent une réalité unique, tout en se manifestant sous des formes diverses.

C’est dans cette perspective que s’inscrit l’enseignement de l’Imām al-Bāqir (as) et de l’Imām al-Ṣādiq (as) à propos de l’Imām al-Ḥusayn (as) :

إِنَّ اَللَّهَ عَوَّضَ اَلْحُسَيْنَ عَلَيْهِ اَلسَّلاَمُ مِنْ قَتْلِهِ أَنَّ اَلْإِمَامَةَ مِنْ ذُرِّيَّتِهِ وَ اَلشِّفَاءَ فِي تُرْبَتِهِ وَ إِجَابَةَ اَلدُّعَاءِ عِنْدَ قَبْرِهِ وَ لاَ تُعَدُّ أَيَّامُ زَائِرِيهِ جَائِياً وَ رَاجِعاً مِنْ عُمُرِهِ

« En vérité, Allah (swt), en contrepartie du martyre de l’Imām al-Ḥusayn (as), a établi l’imāmat dans sa descendance, conféré à sa terre (ṭurba) la vertu de guérison, fait de son mausolée un lieu d’exaucement des prières, et suspendu le cours du temps pour quiconque entreprend le pèlerinage vers son mausolée. »[29]

Ce ḥadīth illustre parfaitement la manière dont les circonstances historiques exceptionnelles entourant l’Imām al-Ḥusayn (as) — notamment son martyre à Karbalāʾ — ont conduit à une manifestation particulière de la grâce divine, sans pour autant signifier une supériorité ontologique sur les autres Imāms (as).

3. Une supériorité mise en avant pour renforcer l’attachement affectif au madhhab

Après avoir établi l’unicité ontologique des Imāms (as), ainsi que la diversité de leurs missions historiques, il est essentiel d’aborder un dernier aspect : celui de la mise en avant particulière de certaines figures, et notamment de l’Imām al-Ḥusayn (as), dans les sources traditionnelles et dans la mémoire collective chiite.

Cette mise en avant n’est pas liée à une supériorité essentielle sur les autres Imāms (as), mais elle répond à une finalité pédagogique et spirituelle : nourrir l’amour, la fidélité et l’attachement du croyant à l’imāmat par l’émotion intérieure, en particulier à travers le deuil, la compassion et la mémoire du sacrifice.

3.1. L’émotion comme vecteur de transmission spirituelle

Les textes religieux eux-mêmes valorisent les manifestations affectives liées à l’Imām al-Ḥusayn (as). Ainsi que l’a rapporté l’Imām al-Ṣādiq (as) :

مَنْ ذُکِرَ الْحُسَیْنُ علیه‌السلام عِنْدَهُ، فَخَرَجَ مِنْ عَیْنِهِ [عَیْنَیْهِ‏] مِنَ الدُّمُوعِ مِقْدَارُ جَنَاحِ ذُبَابٍ کَانَ ثَوَابُهُ عَلَى اللَّهِ عَزَّ وَ جَلَّ وَ لَمْ یَرْضَ لَهُ بِدُونِ الْجَنَّهِ

« Si quelqu’un évoque [le souvenir de] al-Ḥusayn (as) en présence d’un autre, et qu’une larme – même de la taille d’une aile de mouche – coule de ses yeux, alors sa récompense incombe à Allah (swt), et la moindre de Ses récompenses est l’entrée au Paradis. »[30]

Ce type de parole rapportées ne vise pas à établir une hiérarchie entre les Imāms (as), mais à ancrer profondément dans le cœur des croyants l’amour de l’imāmat, à travers la voie du deuil, de la reconnaissance, et du lien sacrificiel.

Ainsi, les mérites rapportés pour les pleurs, la ziyāra, et le souvenir de Karbalāʾ s’inscrivent dans une dynamique de transmission affective du madhhab.

3.2. L’impact historique et spirituel de Karbalāʾ

Le soulèvement de l’Imām al-Ḥusayn (as) a marqué l’histoire musulmane d’un tournant décisif. Il fut non seulement un acte de résistance spirituelle et politique, mais aussi un manifeste de l’essence de l’imāmat : courage, vérité, refus de la compromission.

Comme l’a écrit Shahīd Murtadhā Muṭahharī :

« La clé de la personnalité de Ḥusayn est l’héroïsme, l’élan, la grandeur, la fermeté, la force, la persévérance, la passion de la vérité. »[31]

« Karbala est véritablement un message écrit avec du sang. Et l’histoire démontre que les paroles écrites avec le sang ne s’effacent jamais, car elles témoignent d’une sincérité absolue, d’une pureté sans faille, ainsi que de la profondeur d’un engagement et d’une pensée. »[32]

« L’Imām al-Ḥusayn (as) a sans le moindre doute, ravivé l’identité islamique au sein de la communauté musulmane. »[33]

Conclusion

Il est donc incontestable, tant du point de vue historique que spirituel, que le martyre de l’Imām al-Ḥusayn (as) occupe une place exceptionnelle et centrale dans la mémoire religieuse chiite.

De nombreuses traditions, et les faits eux-mêmes, témoignent de la supériorité de son sacrifice, de l’impact de son soulèvement, et du rôle unique qu’il a joué dans la pérennité de l’Islam authentique.

Toutefois, cela ne signifie nullement que l’Imām al-Ḥusayn (as), en tant qu’Imām, serait ontologiquement supérieur aux autres Imāms (as). Cette distinction fonctionnelle et affective ne remet pas en cause l’égalité essentielle des Imāms dans leur lumière, leur pureté, leur rang spirituel et leur infaillibilité.

Ils sont tous, sans exception, les manifestations successives d’une seule réalité divine, unis dans l’essence, distincts dans la forme, et tous désignés par Allah (swt) comme les guides infaillibles de Son message.






[1] Cet article est un extrait et une réadaptation d’une réponse publiée par Hawzah.net, complétée par des publications de Wikifeqh.ir.

[2] NDT: Isrāʾ désigne le voyage nocturne miraculeux accompli par le Prophète Muḥammad (saw), au cours duquel il fut transporté de la Mosquée sacrée de La Mecque (al-Masjid al-Ḥarām) à la Mosquée al-Aqṣā à Jérusalem. Ce voyage est mentionné dans le Saint Coran (17:1) et précède l’événement du Miʿrāj, l’ascension vers les cieux.

[3] Biḥār al-anwār, vol. 36, p. 261 ; Tafsīr Furāt al-Kūfī, vol. 1, p. 74.

[4] Irbilī, Kashf al-ghumma, 1381 H, vol. 1, p. 458 ; Biḥār al-anwār, 1403 H, vol. 27, p. 131.

[5] Le Saint Coran, Sourate an-Nūr (24), verset 36.

[6] al-Ṣadūq, Man lā yaḥḍuruhu al-faqīh, vol. 2, p. 613.

[7] al-Shaykh al-Ṭūsī, Miṣbāḥ al-mutahajjid, Ziyārat al-Wārith, p. 721.

[8] Biḥār al-anwār, vol. 15, p. 21, ḥadīth n° 24.

[9] Le Saint Coran, Sourate aṣ-Ṣāffāt (37), versets 165-166.

[10] Ḥasan b. Sulaymān al-Ḥillī, al-Muḥtaḍar, p. 165 ; Daylamī, Ḥasan b. Muḥammad, Irshād al-qulūb, vol. 2, p. 301.

[11] Maʿānī al-akhbār – al-Shaykh al-Ṣadūq, vol. 1, p. 351.

[12] al-Kāfī – al-Shaykh al-Kulaynī, vol. 1, p. 440.

[13] al-Ṣadūq, ʿIlal al-sharāʾiʿ, vol. 1, p. 134 ; al-Amālī, p. 236 ; Maʿānī al-akhbār, vol. 1, p. 56.

[14] Tadhkirat al-khawāṣṣ, vol. 1, p. 320.

[15] Bonyād-e farhangī-ye Imāmat (Fondation culturelle de l’Imāmat), sous la supervision du bureau de Son Éminence l’Ayatollāh Sayyid ʿAlī Ḥusaynī Mīlānī.

[16] Tadhkirat al-khawāṣṣ, vol. 1, pp. 214–215.

[17] Ibn Shādhān al-Qummī, al-Faḍāʾil, p. 54.

[18] Le Saint Coran, Sourate at-Taghābun (64), verset 8.

[19] Uṣūl al-Kāfī, vol. 1, p. 195, ḥadīth n° 4.

[20] Le Saint Coran, Sourate as-Saff (61), verset 8.

[21] Le Saint Coran, Sourate as-Saff (61), verset 8.

[22] Le Saint Coran, Sourate at-Taghābun (64), verset 8.

[23] Uṣūl al-Kāfī, vol. 1, p. 195, ḥadīth n° 6.

[24]Le Saint Coran, Sourate al-Nūr (24), verset 35.

[25] Uṣūl al-Kāfī, vol. 1, p. 195, ḥadīth n° 5.

[26] Sourate al-Kahf (18), verset 9.

[27] Biḥār al-anwār, vol. 25, p. 364.

[28] Biḥār al-anwār, vol. 2, p. 191.

[29] Al-Majlisī, Biḥār al-anwār, vol. 44, p. 221 ; al-Ḥuwayzī, Tafsīr al-Burhān, vol. 4, p. 242 ; cité dans : ʿĀlamī, Ḥusayn nafs muṭmaʾinna, p. 39.

[30] Biḥār al-anwār, vol. 44, p. 289 et 291.

[31] Muṭahharī, Majmūʿa-yi Āthār, vol. 17, p. 45.

[32] Ibid, p. 656-657.

[33] Ibid, p. 50 à 62.

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